Lecture #7B

[samedi 21 août 2004]

COMME Maman est encore en vacances jusqu’à la semaine prochaine, on a décidé d’aller se balader toutes les deux dans Paris. La tour Eiffel, c’était la première fois qu’elle la voyait en vrai alors qu’elle habite à une demi-heure depuis presque vingt ans. Autrement, c’était à la télé, au JT de treize heures, le lendemain du jour de l’an quand elle est illuminée et qu’à ses pieds, des gens font la fête, dansent, s’embrassent et se bourrent la gueule. En tout cas, elle était vachement impressionnée.
    – Ça doit faire peut-être deux ou trois fois notre bâtiment, non ?
    Je lui ai répondu que c’était sûrement ça. Sauf que notre immeuble et la cité en général, ils suscitent moins d’intérêt auprès des touristes. Y a pas des mafias de Japonais avec leur appareil photo au pied des tours du quartier. Les seuls qui s’y intéressent, c’est les journalistes mythos avec leurs reportages dégueulasses sur la violence en banlieue.

    Maman, elle serait bien restée des heures à la regarder. Moi, je la trouve moche mais c’est vrai qu’ elle en impose parce qu’elle est puissante la tour Eiffel. J’aurais bien voulu monter dans les ascenseurs rouges et jaunes, genre Ketchup-mayo, mais c’était trop cher. En plus, il fallait qu’on fasse la queue derrière des Allemands, des Italiens, des Anglais et encore plein de touristes…. On avait pas non plus assez de sous pour acheter une tour Eiffel miniature, encore plus moche que l’originale mais c’est quand même la classe d’en avoir une posée sur sa télé. Les stands attrape-touristes, c’est hyper cher. En plus, les mecs, ce qu’ils vendent c’est vraiment de la merde. Après, y a un pigeon qui m’a chié sur l’épaule. J’ai essayé de m’essuyer discrètement sur une statue de Gustave Eiffel 1832-1923, mais la crotte était coriace et c’est pas parti. Dans le RER, les gens regardaient ma tache et j’ avais la hchouma. J’étais dégoûtée parce que c’est la seule veste que j’aie qui fasse pas trop pauvre. Les autres, si je les mets, tout le monde m’appelle « Cosette ». Et puis, je m’en fous, que ça se voie ou pas, je serai pauvre quand même. Plus tard, quand j’aurai plus de seins et que je serai un petit peu plus intelligente, enfin quand je serai une adulte quoi, j’adhérerai à une association pour aider les gens...

    Savoir que des personnes ont besoin de toi et que tu peux leur être utile, c’est mortel quand même.

    Même qu’ un de ces quatre, si j’ai pas besoin de mon sang ou d’un de mes reins, je pourrai en passer à des malades qui ont leur nom sur des listes depuis trop longtemps. Mais tout ça, je le ferai pas seulement pour me donner bonne conscience et pouvoir me démaquiller tranquille devant ma glace en rentrant du boulot, mais parce que j’en aurai vraiment envie.