Lecture #3A

[dimanche 8 février 2004]

DU COTE du lycée, le trimestre s’est achevé aussi mal qu’il avait commencé. Heureusement que ma mère ne sait pas lire. Enfin, je dis ça surtout par rapport au bulletin... S’il y a bien un truc qui m’ énerve, ce sont les profs qui font un concours d’originalité pour les appréciations. Résultat : elles sont toutes aussi connes les unes que les autres... La pire que j’aie jamais eue, c’est Nadine Benbarchiche, la prof de physique-chimie, qui l’a écrite : « Affligeant, désespérant, élève qui incite à la démission ou au suicide... » Elle pensait certainement faire de l’humour. J’avoue là, elle a fait fort. C’est vrai que je suis nulle mais bon, faut pas exagérer…. La seule qui m’a écrit un truc sympa, c’est Mme Lemoine, la prof de dessin, enfin pardon, d’arts plastiques. Elle a marqué : « Des qualités plastiques »... Bon, OK, ça veut rien dire mais c’est sympa quand même.

    Malgré mes qualités plastiques, une copine de Maman a proposé que son fils vienne m’aider à faire mes devoirs. D’après elle, j’aurai plus que des bonnes notes parce que son fils Nabil, c’est un génie. J’ai remarqué que les mères arabes pensent souvent ça de leurs fils. Mais la mère de Nabil, elle abuse. Elle croit que c’est l’Einstein des HLM et elle le dit à tout le monde…. Heureusement, ma mère n’a pas tout à fait dit oui. Elle a utilisé le joker « inchallah ». Ça veut dire ni oui, ni non. C’est « si Dieu veut » la vraie traduction. Mais ça, tu pourras jamais le savoir si Dieu il veut ou pas...

   Nabil, c’est un nul. Il a de l’acné et quand il était au collège, tous les jours ou presque, il se faisait racketter son goûter à la récré. Une grosse victime. Moi je préfère les héros, comme dans les films, ceux qui font rêver les filles... Al Pacino, je suis sûre que personne pouvait lui tirer son goûter. Direct il sort le semi-automatique, il t’explose le pouce, tu peux plus le sucer le soir avant de t’endormir. Terminé.

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[mercredi 3 mars 2004]
    Depuis quelques semaines, Nabil vient donc chez moi de temps en temps pour m’aider dans mes devoirs. Ce type, il se la raconte trop ! Il croit qu’il connaît tout sur tout. La dernière fois, il s’est foutu de ma gueule parce que je croyais que Zadig, c’était une marque de pneus. Il a rigolé pendant trois quarts d’heure rien que pour ça... Un moment, en voyant que ça ne me faisait pas rire du tout, il a dit : « Nan, mais t’inquiète pas, je plaisante, tu sais c’est pas grave, dans la vie, y a les intellectuels et y a les autres... » Bouffon. C’est sa mère qui me l’a mis dans les pattes. Sûrement qu’elle voulait se débarrasser de lui...

   Mais bon, Nabil, je lui donne des circonstances atténuantes parce que ça doit pas être facile tous les jours d’avoir une mère comme la sienne. Elle est tout le temps sur son dos. Au début je croyais que son prénom à Nabil, c’était « Monfiss » parce qu’elle lui disait tout le temps ça en lui caressant la tête. À ce qu’il paraît, elle le surveille à mort et veut tout savoir sur ses copines, sa vie privée, etc. Bon, OK, il en a pas de vie privée mais quand même, ça se fait pas. Même quand il était petit, elle venait à la récré pour lui passer des petits-beurre par la grille de l’école. Dans la cité, tout le monde dit que chez eux, la mère c’est le père, et on arrête pas de se foutre de sa gueule.
   – Hé ! Nabil ! Ton père il fait la vaisselle ! Ta mère elle porte des caleçons !

   Vous avez vu, je fais comme les avocats des films américains qui, pour défendre un client serial killer, violeur et cannibale, racontent toute son enfance super malheureuse. Comme ça après les jurés ont pitié de lui et ils oublient un peu la cuisse d’Olivia, seize ans, qui est encore dans son congélateur...

    Moi, plus tard, je sais pas si je voudrai avoir des enfants. En tout cas, je les forcerai jamais à dire bonjour aux vieux s’ils ont pas envie, ni à finir leur assiette.

   Et encore, si j’en ai des mômes, parce qu’en quatrième, notre prof de sciences nat nous a montré un accouchement vu de face et ça m’a sérieusement dégoûtée de la procréation.

   J’en ai parlé avec Mme Burlaud lundi dernier…. Et puis on a aussi parlé d’un truc nouveau qui m’est arrivé. J’ai eu mes règles. À vrai dire, j’étais un peu en retard par rapport aux autres filles du lycée. L’ infirmière de l’école m’a expliqué que c’était héréditaire. Héréditaire ça veut dire que c’est de la faute de ta mère. Maman aussi a eu les siennes vers quinze ans. Ça devait être chaud pour elle car au bled ça existait même pas les serviettes hygiéniques. Moi avant, je croyais que les règles, c’était bleu, comme dans la pub Always, celle où ils parlent de flux, de liquide et qui passe tout le temps quand on est à table.

   Mme Burlaud m’a posé plein de questions. Ça avait l’air de la passionner les règles. Elle les a jamais eues les siennes de règles ou quoi ?

   Elle m’a expliqué qu’il y avait plein de filles que leurs premiers saignements avaient traumatisées. Elle m’a aussi expliqué que les règles ce n’est que le début du processus, que je vais avoir des douleurs à la poitrine à cause de ma poussée de seins et sûrement des boutons sur la figure. Ouais ! Et pourquoi pas les cheveux gras, le corps tout élastique et les yeux éteints, comme tous les ados ? Autant sauter par la fenêtre de mon habitation à loyer modéré !

   J’ai remarqué qu’on se console toujours en regardant les pires que soi. Alors moi, ce soir-là je me suis rassurée en pensant à ce pauvre Nabil.