Lecture #3C

[samedi 27 mars 2004]

LA SEMAINE DERNIERE, Mme Dutruc, l’assistante sociale de la mairie, elle est revenue à la maison. À peine Maman lui a ouvert la porte qu’elle lui lance entre ses dents blanches et identiques :
    – Oh là, vous avez mauvaise mine... ouh là là...

   Elle avait dit ça avec son air supérieur qu’elle sait trop bien prendre parfois. Je me demande si elle a pas choisi ce métier parce que ça la rassurait de s’occuper de la misère des gens….

   Maman lui a raconté la grève et la situation du Formule 1. Là, Mme Dumachin a pris un air grave et lui a proposé une formation dans une structure d’ accueil pour analphabètes à Bondy. Elle y apprendrait à lire et à écrire et puis en même temps à faire les démarches pour trouver un nouveau travail. Maman aurait rien à payer. La formation est prise en charge par la mairie de Livry-Gargan.

   Avant de partir, elle m’a regardée en fouillant dans son sac « Vieuthon » et elle m’a fait :
   – J’ai quelque chose pour toi...
   Elle a dit ça de sa voix aiguë, en séparant chaque syllabe de la phrase, ça faisait débile mentale. J’avais l’impression d’ avoir huit mois et qu’elle m’annonçait qu’elle allait enfin changer ma couche….

   En fait, elle m’a donné un chèque-lire pour avoir des bouquins gratos. Je me sens régresser avec tous ces gens qui me traitent comme une assistée. Allez tous au diable.

    Quand elle a fermé la porte je croyais que c’en était fini pour la soirée, mais le téléphone a sonné. C’était Tante Zohra en panique parce que des policiers sont venus chez elle à six heures du matin pour arrêter Youssef. Ils ont défoncé la porte, l’ont sorti du lit à coups de pied, mis tout sens dessus dessous dans l’appartement et l’ont emmené au poste. Au téléphone en tout cas, Tante Zohra arrêtait pas de pleurer. Elle expliquait à Maman qu’il est impliqué dans un trafic de drogue et des histoires de voitures volées. Je crois qu’elle pensait que c’était de sa faute, parce qu’elle s’était pas assez occupée de son fils….

   Youssef, en ce moment, il doit se faire interroger dans un bureau gris qui sent le renfermé. Moi, je sais que Youssef, c’est un mec gentil. C’est pas juste. Quand Maman a raccroché, on a un peu parlé mais des fois même les mots, ils suffisent pas. Juste, on regardait par la fenêtre et ça voulait tout dire….