Lecture #1B
[mardi 4 novembre 2003]
LE
RAMADAN a commencé depuis un peu plus d’une semaine. J’
ai dû faire signer à Maman un papier de la
cantine
précisant pourquoi je ne mangeais pas ce trimestre. Quand je l’ai donné au
proviseur, il m’a demandé si je
me foutais de sa gueule. Le proviseur, il s’appelle M. Loiseau. Il est gros, il est
con, quand il ouvre la bouche ça
sent le vin de table
Leader Price et en plus il fume la pipe. À la fin de la journée, c’est sa grande sœur qui vient le chercher en
Safrane rouge à la
sortie du lycée. Alors quand il veut
jouer le proviseur autoritaire, il est loin d’être crédible.
Donc M. Loiseau m’a demandé si je me foutais de sa gueule parce qu’il a cru que le papier, je l’avais signé à la place de ma mère. Il est vraiment con, parce que si j’avais voulu imiter une signature, j’en aurais fait une vraie. Là, Maman avait juste fait une vague forme qui tremble. Elle a pas l’habitude de tenir un stylo entre ses mains.
Ducon, il s’est même pas posé la question. Il doit faire partie de ces gens qui croient que l’
illettrisme, c’est comme le
sida. Ça existe
qu’ en Afrique.
Y a pas très longtemps, Maman a commencé à travailler. Elle fait le
ménage dans un hôtel
Formule 1 à Bagnolet, en attendant de trouver autre chose, j’espère bientôt.
Parfois, quand elle rentre tard le soir, elle pleure. Elle dit que c’est la fatigue. Pendant le ramadan, elle
lutte encore plus parce qu’à l’heure de la
coupure, vers 17 h 30, elle est encore au travail. Alors pour manger, elle est obligée de cacher des
dattes dans sa blouse. Elle
a carrément cousu une poche intérieure
histoire que ça fasse plus discret parce que si son patron la voyait, elle
se ferait engueuler.
Au Formule 1 de Bagnolet, tout le monde l’appelle « la
Fatma ». On
lui crie après sans arrêt, et on la
surveille pour vérifier qu’elle
pique rien dans les chambres.
Et puis, le prénom de ma mère, c’est pas Fatma, c’est Yasmina. Ça
doit bien le faire marrer, M. Schihont, d’appeler toutes les Arabes Fatma, tous les Noirs Mamadou et tous les Chinois Ping-Pong. Tous des cons, franchement...
M. Schihont, c’est son
responsable. Il est alsacien. Parfois, je souhaite qu’il
crève au fond d’une cave,
bouffé par les rats. Quand je dis ça, Maman m’engueule. Elle dit que c’est pas bien de souhaiter la mort, même à
son pire ennemi. Un jour, il l’a insultée et quand elle est rentrée, elle a pleuré super fort. La dernière fois que j’ai vu quelqu’un pleurer comme ça, c’était Myriam quand elle
s’était fait pipi dessus en
classe de neige. Cet
enfoiré de M. Schihont, il a cru que Maman
se moquait de lui parce qu’avec son accent elle prononce son nom
« Schihant ».