Lecture #10C

[mardi 19 octobre 2004]

PENDANT QUE Lila essayait des pompes chez André, j’ai tout raconté à Hamoudi à propos de Nabil. Il avait l’air super content pour moi, comme s’il m’arrivait quelque chose d’extraordinaire. J’espérais qu’il réagisse comme ça Hamoudi. Je le connais bien, c’est pas le genre de type méprisant à penser qu’une fille qui a un petit copain, c’est une ****. Enfin, vous voyez ce que je veux dire quoi...
    – Alors tu veux nous devancer et te marier avant nous ? Il est beau ton Nabil ? J’le connais si c’est un petit du quartier, non ?
    – Il a de grandes oreilles mais il est très gentil et intelligent et...
    – Ha ! ça y est, ça commence... C’est fini, c’est plus kif-kif demain comme tu me disais tout le temps ?...

    C’est vrai ça. J’avais presque oublié. Hamoudi, lui, il s’en souvient. Quand il a dit ça, ça a failli me décrocher la larme. C’est ce que je disais tout le temps quand j’allais pas bien et que Maman et moi on se retrouvait toutes seules : kif-kif demain.
    Maintenant, kif-kif demain je l’écrirais différemment. Ça serait kiffe kiffe demain, du verbe kiffer. Waouh. C’est de moi. ( C’est le genre de trucs que Nabil dirait...)

    Ils ont peut-être raison les gens qui disent tout le temps que la roue tourne. Elle tourne peut-être vraiment cette putain de roue. Et puis c’est pas grave…si j’ai plus mon père, parce qu’il y a plein de gens qu’ont plus de père. Et puis j’ai une mère...
    En plus, elle va mieux. Elle est libre, lettrée (enfin presque) et elle a même pas eu besoin de thérapie pour s’en sortir. Il lui manque plus que son abonnement à Elle et c’est une femme accomplie. Qu’est-ce que je peux demander de plus ? Vous pensiez que j’allais dire « rien » ? Eh ben, si, il me manque encore des tas de trucs. Ici, y a plein de trucs à changer... Tiens, ça me donne une idée, ça. Pourquoi je ferais pas de la politique ? « Du CAP coiffure à l’élection présidentielle, il n’y a qu’un pas... » C’est le genre de phrase qui reste. Faut que je pense à en faire plus des comme ça, comme les citations qu’on peut lire dans les livres d’histoire de quatrième, style ce bouffon de Napoléon qui a dit : « À tout peuple conquis, il faut une révolte. »

    Moi, je mènerai la révolte de la cité du Paradis. Les journaux titreront « Doria enflamme la cité » ou encore « La pasionaria des banlieues met le feu aux poudres ». Mais ce sera pas une révolte violente comme dans le film La Haine où ça se finit pas hyper bien. Ce sera une révolte intelligente, sans aucune violence, où on se soulèvera pour être reconnus, tous. Y a pas que le rap et le foot dans la vie. Comme Rimbaud, on portera en nous « le sanglot des Infâmes, la clameur des Maudits ».
    Faut que je côtoie moins Nabil, ça me donne de forts élans républicains...