Lecture #6B

[mardi 29 juin 2004]

DIMANCHE MATIN, avec Maman, on est allées au vide-grenier. Elle espérait trouver des chaussures pour elle parce que dans sa pompe gauche, y a un petit trou au niveau de l’ orteil et quand il pleut ou quand elle marche dans l’herbe le matin, elle a les doigts de pied trempés.

    On marchait dans les allées du vide-grenier quand j’ai entendu des filles derrière nous :
    – Téma la fille, habillée encore plus mal que sa daronne... Elle aussi on l’a vidée du grenier !
    – Ouais, laisse tomber, le vide-grenier pour elles c’est les Galeries Lafayette...

    Elles ont commencé à pouffer de rire. Des petits rires mauvais, étouffés. J’ai regardé Maman. Apparemment, elle n’avait rien entendu. Elle était concentrée sur une pochette de 45 tours de Michel Sardou. Sur la photo, il avait une grosse touffe quand même. On dirait que pendant les années quatre-vingt, on a rapatrié tous les coiffeurs, on les a cachés dans une grotte et qu’ils ont commencé à réapparaître seulement au début des années quatre-vingt-dix.

    Bref, les deux pétasses qui ont dit ça derrière nous, je me suis même pas retournée pour les avaler toutes crues ou leur déchiqueter les narines. Non, j’ai fait comme si de rien n’était, comme si j’avais pas entendu. J’ai tenu Maman par le bras. Je l’ai serrée parce que j’avais quand même bien la haine et puis j’ai senti les larmes me monter aux yeux et mon nez qui me piquait. J’avais très envie de pleurer, mais j’ai essayé de retrouver mon calme. Je me suis forcée parce que je ne voulais pas raconter ça à Maman. Elle se serait sentie coupable. En plus, elle regardait des lots d’éplucheurs à un euro qui avaient l’air de l’intéresser pas mal, j’ai pas voulu la perturber. Dans ces moments-là, je voudrais être plus forte, avoir comme une carapace qui me défendrait toute ma vie. Que plus rien ne puisse me faire mal.

    Toute la cité est venue au mariage d’Aziz. Ils ont organisé ça dans une grande salle des fêtes à Livry-Gargan avec un vrai orchestre de Fès, venu spécialement pour l’occasion. Aziz avait engagé deux « négafas », ce sont des marieuses chargées de toute l’organisation de la fête : décors, vêtements, maquillage, bijoux de la mariée, nourriture, tous ces trucs-là. C’était un super mariage, il a vraiment mis la patate Aziz. Enfin à ce qu’il paraît, parce que, effectivement, on n’a pas été invitées.